Loi de finances pour 2022 : la question du statut professionnel ou non-professionnel enfin résolue ?

Demandée par un très grand nombre d’acteurs, la clarification des critères qualifiant un investisseur en cryptomonnaies de « professionnel » figure dans le projet de loi de finances pour 2022. Que contient le nouveau texte ? Que faut-il en penser et à quoi s’attendre ? 

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Le projet de loi de finances pour 2022 comporte plusieurs dispositions relatives à la fiscalité des cryptomonnaies. L’une d’entre elles est particulièrement scrutée puisqu’elle concerne la question de la qualification des investisseurs en cryptomonnaies : professionnel versus non-professionnel. Cette question est en effet celle qui agite le plus lorsque l’on parle de fiscalité des actifs numériques, nous en parlons dans cet article.

Par divers amendements (notamment celui déposé à l’initiative du député LREM de Paris Pierre Person), les députés ont décidé d’intégrer à l’article 92 du Code général de impôts (CGI) l’alinéa suivant :

"Les produits des opérations d’achat, de vente et d’échange d’actifs numériques effectuées dans des conditions analogues à celles qui caractérisent une activité exercée par une personne se livrant à titre professionnel à ce type d’opérations".

Pour ceux qui l’ignorent, l’article 92 du CGI définit les bénéfices non commerciaux (BNC). Il est donc prévu que les plus-values réalisées par les investisseurs « professionnels » en cryptomonnaies soient imposés en tant que BNC.

Que penser de cette nouvelle disposition qui, si elle est définitivement adoptée (la loi de finances pour 2022 sera votée d’ici la fin du moi de décembre) s’appliquera pour les cessions réalisées à compter du 1er janvier 2023 ?

Catégorie des BNC

La première nouveauté tient au fait que ces plus-values seront taxées dans la catégorie des BNC. Jusqu’alors, l’on considérait que les plus-values réalisées à titre habituel constituaient des BIC. En dehors de certains cas particuliers, cette nouveauté n’implique pas de véritable changement au plan pratique puisque dans un cas comme dans l’autre, le revenu sera taxé à l’impôt sur le revenu au taux marginal (qui peut atteindre 45%) et aux cotisations sociales. Si l’on rajoute la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus (CEHR), l’on peut atteindre allègrement un niveau de prélèvement de 65% ou plus.

Existence de critères concrets ?

En caricaturant un peu, l’on pourrait dire que le nouveau texte revient à qualifier de professionnels les investisseurs qui investissent comme des professionnels. Trouvez-vous cela plus clair ? Nous, pas tellement.

La référence à des « conditions analogues à celles qui caractérisent une activité exercée par une personne se livrant à titre professionnel à ce type d’opérations » est déjà utilisée et connue dans notre droit fiscal, notamment en ce qui concerne les opérations de bourse.

Le nouveau texte revient donc à aligner le régime des investisseurs en cryptomonnaies « professionnels » sur celui des investisseurs en bourse « professionnels ». Cet alignement semble tout à fait logique.

Or en examinant le régime des opérations de bourse, l’on s’aperçoit que les « conditions d’exercice » propres à caractériser une activité professionnelle ne sont pas clairement définies.

L’administration fait référence dans son BOFiP à différents arrêts du Conseil d’Etat dans lesquels les contribuables ont été requalifiés en professionnels au titre de leurs investissements privés alors qu’ils exerçaient par ailleurs un métier en lien avec les marchés boursiers. Cette circonstance mettrait donc à l’abri d’une requalification les investisseurs en cryptomonnaies dont la profession est sans lien avec les actifs numériques ? Nous ne le croyons absolument pas.

L’administration précise en outre :

le montant des gains retirés des opérations de bourse doit être apprécié par rapport aux autres revenus du contribuable, particulièrement ceux retirés d’activités professionnelles. Cela étant, le fait que les gains réalisés soient supérieurs aux revenus professionnels du contribuable n’est pas, en lui-même, suffisant pour qualifier le contribuable d’opérateur habituel. […]

En définitive, l’imposition dans la catégorie des bénéfices non commerciaux, […] revêt un caractère exceptionnel puisqu’elle est susceptible de concerner les opérations de bourse qui, outre leurs aspects quantitatifs et qualitatifs rappelés plus haut, sont réalisées personnellement par le contribuable dans des conditions analogues à celles qui caractérisent une activité exercée par une personne se livrant à titre professionnel à ce type d’opérations.

A cet égard, l’utilisation même fréquente de l’outil informatique du réseau internet et du courtage en ligne pour gérer son portefeuille, qui permet le cas échéant d’accélérer la vitesse de rotation d’un portefeuille et de faciliter les transactions boursières, ne constitue pas, par elle-même, un critère suffisant pour qualifier fiscalement les produits retirés des opérations comme relevant des bénéfices non commerciaux."

En l’absence de réponse concrète, il conviendra (i) de se référer à l’abondante jurisprudence en la matière et surtout (ii) de procéder à des appréciations au cas par cas, au regard des circonstances concrètes propres à chaque contribuable. Essayer de savoir si un investisseur sera regardé comme un professionnel ou un non-professionnel en utilisant un algorithme est donc totalement illusoire.

En outre, si l’on peut trouver des professionnels des opérations de bourse pour regarder dans quelles conditions ils exercent leur activité, peut-on en faire autant avec des « professionnels de l’achat – revente d’actifs numériques » ? D’ailleurs, qu’est-ce qu’un tel professionnel ? En existe-t-il seulement ? Et que dire des nouveaux modes de vies et de travail dans lesquels certains exercent plusieurs activités ? Le développement du free-lance, du nomadisme, du télétravail et l’uberisation de l’économie conduisent de plus en plus d’acteurs à exercer finalement plusieurs activités qui génèrent différents types de revenus. Lesquelles sont professionnelles ou non-professionnelles ? Principales ou accessoires ? Etc. Le droit et en particulier la matière fiscale doivent donc en permanence s’adapter aux mutations que connaissent nos sociétés. C’est aussi cela qui rendent toutes ces questions très intéressantes.

L’absence de sursis

Ce n’est pas une nouveauté mais nous devons néanmoins le noter. Il n’est pas prévu, pour les professionnels, de sursis d’imposition pour les opérations d’échanges crypto x crypto. On peut le regretter dans le sens où un tel sursis existe pour les investisseurs occasionnels en vertu de l’article 150 VH bis du CGI. Pour être complet, nous devons également rappeler qu’aucun sursis n’est prévu en matière d’opérations de bourse. L’investisseur en actifs numériques n’est donc pas moins bien traité que l’investisseur boursier, même s’il est permis de penser que les pratiques sur ces différents marchés ne sont pas les mêmes.

La question de la date d’entrée en vigueur

Le nouveau texte, s’il est définitivement adopté, s’appliquera aux opérations réalisées à compter du 1er janvier 2023.

Ce report est expliqué par le ministre délégué Oliver Dussopt, qui a déclaré en commission des finances : « Le sujet nous semble suffisamment mature, mais nous avons encore besoin d’y travailler pour en poser le cadre réglementaire. »

D’un point de vue pratique, comment l’administration s’y prendra-t-elle pour appliquer le nouveau texte dans le temps ? Pourra-t-on être considéré comme un professionnel au 1er janvier 2023 et comme un non professionnel jusqu’à cette date ou inversement ? Quid des gains engendrés jusqu’à cette date, en particulier, ceux qui ont été convertis en stablecoins ? En effet, l’on sait que pour les professionnels, les opérations crypto x crypto sont un fait générateur de l’impôt. Dès lors, un cash-out (conversion en monnaie Fiat) ne génère aucun impôt s’il provient de la vente de stablecoins. Dans ces conditions, serait-il pertinent de procéder à une conversion en stablecoins avant le 1er janvier 2023 puis de procéder à une conversion en Fiat à partir de cette date ? Dans l’affirmative, une telle manœuvre serait-il susceptible de tomber sous le coup de l’abus de droit fiscal, arme absolue de l’administration pour réprimer les opérations abusives. Il est difficile d’y répondre.

De même, imaginons une cession réalisée le 2 janvier 2023. Le nouveau texte est en vigueur. Pourtant, les gains latents se sont formés avant cette date. L’administration pourra-t-elle soutenir que les « conditions d’exercice » étaient analogues à celles d’un professionnel alors que la période d’analyse sera nécessairement antérieure au 1er janvier 2023 et donc à l’entrée en vigueur du nouveau texte ?

Ces questions nous promettent des débats possiblement houleux s’ils prennent place dans le cadre de contrôles et de contentieux. L’on peut aussi penser qu’elles seront à l’origine de sacrés maux de tête !

Sur un plan pratique, que faut-il en conclure ?

La volonté d’une clarification est bien réelle et il faut s’en féliciter. Pour autant, si l’intention est là, le résultat ne peut que nous laisser sur notre faim. Ce nouveau texte ne va pas clarifier de manière immédiate la question du statut. De nombreuses questions demeurent.

Certains auraient voulu des critères objectifs mais était-ce vraiment la bonne solution ? L’existence de critères objectifs présente l’intérêt de fixer un cadre clair et connu de tous. En ce sens, la sécurité juridique et la visibilité sont optimales. Néanmoins, des critères objectifs n’offrent aucune marge de discussion. Un régime faisant du « cas par cas » n’est pas nécessairement défavorable. S’il est vrai qu’il laisse une marge d’appréciation à l’administration, il offre aussi une marge de discussion substantielle pour le contribuable, marge qui peut donc être en la faveur de ce dernier.

Matthieu Lafont
Avocat à la Cour
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