La question brûlante du statut : investisseur occasionnel ou professionnel ?

La question fiscale qui revient le plus souvent s’agissant des investisseurs particuliers est celle du statut. Nombreux sont ceux qui craignent que l’administration fiscale les requalifie en investisseurs professionnels, avec à la clé une fiscalité beaucoup plus lourde que la flat tax de 30% (qui bénéficie à l’investisseur occasionnel). Quels sont les critères ? Comment s’y retrouver dans le flou actuel ? 

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La question du statut de l’investisseur est plus que jamais dans l’actualité car le projet de loi de finance pour 2022 prévoit des dispositions en la matière (voir notre article à ce sujet). Pour autant, avant que le nouveau texte n’entre en vigueur, nous sommes obligés de nous raccrocher à ce qui s’applique encore à ce jour.  

Ce que l’on sait, c’est que le régime de l’article 150 VH bis du Code général des impôts (CGI) s’applique aux cessions réalisées à titre occasionnel. En effet, le Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP), précise bien que :

« les plus-values réalisées lors de la cession d’actifs numériques ou de droits s’y rapportant relèvent du régime d’imposition des plus-values des particuliers prévu à l’article 150 VH bis du CGI lorsqu’elles sont réalisées à titre occasionnel par des personnes physiques […].

Les plus-values résultant de l’exercice habituel d’une activité d’achat en vue de la revente d’actifs numériques demeurent soumises au régime des bénéfices industriels et commerciaux (BIC). »

Il est donc clair qu’il existe deux régimes :

  • Flat tax (30% hors CEHR) pour les opérateurs intervenant à titre occasionnel ;
  • Taux marginal de l’impôt sur le revenu et cotisations sociales pour les opérateurs intervenant à titre habituel, soit un total pouvant atteindre plus de 60% hors CEHR ;

Ce que l’on ne sait pas, en revanche, c’est ce que la loi et le BOFiP entendent par "à titre occasionnel" et "à titre habituel" .

A défaut de textes clairs et de critères précis, l’on est bien obligés de se raccrocher à des régimes connus, comme celui relatif aux opérations portant sur les instruments financiers à terme. En effet, dans sa doctrine, l’administration fait état de critères (qui ne sont autres que ceux édictés par le Conseil d’Etat) permettant de cerner ce que sont des opérations sur instruments financiers à terme et réalisées à titre habituel. Ce fameux « titre habituel » pourrait ainsi commencé à être cerné.

Ces critères sont les suivants :

  • le nombre et la fréquence des opérations ;
  • leur échelonnement dans le temps ;
  • leur nature et la technicité qu’elles requièrent ;
  • la diversité des contrats souscrits ;
  • l’importance du portefeuille ;
  • l’importance du profit réalisé.

Il y a beaucoup à dire sur chacun de ces critères mais nous resterons synthétique ici. Afin de pouvoir commencer à « classifier » un investisseur, il convient de réaliser un examen circonstanciéau cas par cas, et de procéder par faisceau d’indice. En aucun cas l’un ou l’autre de ces critères n’est déterminant : il faut les apprécier tous conjointement et voir quelle est la tendance qui se dégage.

En outre, une transposition pure et simple ce ces critères (propres aux opérations sur instruments financiers à terme) s’avère totalement illusoire. S’il existe des similitudes, il est évident que le « marché » des cryptomonnaies en 2021 et les pratiques qui l’entourent est très loin du marché des instruments financiers à terme dans les années 90, voire 2000. Entre temps, l’avènement d’internet et des plateformes ultra « marketées » a permis à quasiment tout le monde d’accéder à l’investissement (quoi de plus facile aujourd’hui que d’acquérir des cryptomonnaies au moyen d’une simple carte bancaire).

La maîtrise « technique » et la complexité de ce que fait l’investisseur est aujourd’hui toute relative dans le monde des cryptomonnaies. Ce qui était réservé hier à un public averti et compétent est aujourd’hui réalisable par le plus grand nombre. Par ailleurs, la question du quantum des gains demeure. Dans un marché ultra-volatile et haussier comme nous l’avons connu, présenter une importante plus-value en cryptomonnaie est-elle vraiment révélatrice d’une compétence propre à un investisseur professionnel ? Ne pourrait-on pas plutôt considérer que ces fameux investisseurs non-professionnels ont « misé sur le bon cheval » ? Que la chance y est finalement pour beaucoup et qu’inversement les compétences n’y sont pas pour grand-chose ? Si l’on répond par l’affirmative, ces « compétences » ne pourraient alors pas être qualifiées de « professionnelles ».

Il est donc évident que si les critères ci-dessus sont utilisés pour apprécier le statut d’un investisseur en cryptomonnaies, il conviendra d’en faire valoir d’autresdavantage adaptés aux spécificités du marché des cryptomonnaies et aux pratiques d’aujourd’hui. Ces nouveaux critères seront – pour certains – mis en avant par l’administration dans le cadre de contentieux et – pour d’autres – proposés par le contribuable pour défendre sa qualité de non-professionnel.

Il faudra donc nécessairement faire appel au bon sens, à la logique, pour dégager des critères nouveaux qui permettront de traiter les investisseurs avec la plus grande équité possible. Cet exercice ne sera pas possible sans une importante prise de recul et un « recontextualisation » de ce que sont aujourd’hui ces marchés.

L’on pourrait ainsi imaginer que l’existence d’une activité professionnelle, que le montant du cash-in (investissement initial) ou encore que le nombre, la fréquence et le quantum des cash-out pourront être examinés pour requalifier ou contester une requalification en investisseur professionnel. Ce ne sont pas les seuls. 

Maîtriser ces critères permet à l’investisseur de mesurer son risque, de savoir où il se place par rapport à la frontière floue qui délimite les professionnels et les non-professionnels. Surtout, ils permettent d’adapter ses pratiques et son comportement pour mettre les curseurs du bon côté et réduire ainsi le risque d’une requalification

Identifier ces critères nouveaux et les interpréter fait pleinement partie de la mission de l’avocat-conseil, au même titre qu’anticiper les réactions et arguments de l’administration dans les contentieux de demain.

En tout état de cause, la question n’a pas fini de nourrir les débats et de faire couler beaucoup d’encre avant qu’elle ne se trouve au cœur de contentieux fiscaux.

Matthieu Lafont
Avocat à la Cour
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